Séisme au Maroc et aide humanitaire: Que nous apprend la gestion de la solidarité internationale par le roi du Maroc sur l’état des relations franco-marocaines ?
- Ljsl.
- 7 janv. 2024
- 6 min de lecture
/ Article publié en mon nom dans la revue étudiante "Le coup d'oeil de l'AMRI" /
“ It was a terrifying night. We spent the night in the street by fear of a repeat of the earthquake, but thanks god we are all fine” me confiait une amie marocaine vivant à Chichaoua après le tremblement de terre qui ébranla le pays. C’est dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, qu’un séisme puissant se déclencha dans l’ouest du Maroc. De magnitude 6,8, celui-ci secoua plusieurs grandes villes du pays telles que Marrakech, Agadir, ou bien encore Rabat. Au-delà de ces grandes villes, c’est environ 7000 douars, ces villages reculés présents en grand nombre au Maroc, qui ont été touchés. Entre infrastructures détruites et bilan humain important, le pays s’est retrouvé dans une situation difficile. On porte aujourd’hui le nombre de décès à quasiment 3000 personnes et on décompte plus de 5 500 blessés (UNICEF, 2023). C’est aujourd’hui ce qui rend indispensable l’intervention humanitaire de puissances étrangères, pour assister le pays meurtri dans sa reconstruction tant matérielle qu’humaine. Les offres de pays ont abondé, mais peu ont obtenu une issue positive, essuyant donc le refus du roi du Maroc, Mohamed VI. Parmi les pays qui se sont retrouvés écartés : la France. Partenaire diplomatique de longue date du Maroc, les relations entre les deux pays se sont progressivement dégradées. C’est pourquoi nous allons chercher à analyser la manière dont la gestion de la crise humanitaire que subit actuellement le Maroc, suite au séisme qui l’a touché, se relie à son contexte géopolitique et diplomatique. A cet effet, nous nous pencherons plus particulièrement sur les relations franco-marocaines.
Une catastrophe naturelle qui a déclenché un vif mouvement de solidarité internationale.
Depuis plusieurs siècles, l’aide humanitaire apparaît comme un réflexe pour les grandes puissances. Découlant d’un mécanisme de réponse aux crises, relié à la philanthropie terme signifiant littéralement « amour de l’homme »), l’action humanitaire se présente avant tout comme une réaction désintéressée. La crise, mouvement de suspension dans le quotidien, apparaît comme une moment de rupture, exigeant une réponse immédiate et au-delà de toutes considérations politiques. Ainsi, l’action humanitaire pourrait se définir comme une action qui « vise à sauver et préserver la vie et la dignité de personnes victimes d’un conflit ou d’une catastrophe » (Le Coconnier, 2012). Pourtant, dans l’observation des faits, il est difficile de ne pas voir un lien ténu se tisser entre aide humanitaire et démarche politique, diplomatique. Le secteur de l’humanitaire s’inscrit en effet dans « un contexte de politique internationale et de rivalités entre les acteurs» (Mondésir, Beckmann, 2016). C’est pourquoi on a pu remarquer, suite à la crise qu’affronte actuellement le Maroc, l’émergence d’acteurs internationaux qui essaient de se frayer un chemin dans le pays sous couvert d’aide humanitaire. Le fond des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a par exemple publié un communiqué démontrant son implication dans la crise et l’aide qu’il apporte actuellement au pays, avec des troupes déjà sur place, sans oublier de rappeler sa présence historique dans le pays et les progrès qu’il a provoqué. Dans cette optique, on observe une tension inhérente à l’aide humanitaire. En effet, «les efforts humanitaires sont menacés par la concurrence régionale entre donateurs traditionnels et nouveaux mécènes (par exemple au Moyen-Orient) et par la capacité des organisations internationales à rester pertinentes et fidèles aux principes humanitaires » (De Lauri, 2020). C’est peut-être pour cela que l’on observe une réaction de prudence de la part du roi du Maroc, Mohamed VI, concernant l’acceptation des propositions d’aide humanitaire. Le royaume du Maroc n’a pour l’instant accepté de l’aide venant que de cinq pays : Royaume-Uni, Espagne, Qatar, Emirats arabes unis et Tunisie. Selon un communiqué du ministère de l’intérieur marocain, ces propositions ont été acceptées à la suite d’« une évaluation minutieuse des besoins sur le terrain et en tenant compte du fait qu'une absence de coordination pourrait être contre-productive ».
Le refus de l’aide humanitaire gouvernementale française : un indicateur sur l’état des relations franco-marocaines ?
Dans ces circonstances, on peut percevoir l’absence de réponse du gouvernement marocain à la proposition d’aide humanitaire française comme un message fort. La « diplomatie des séismes » révèle soit des résolutions de contentieux politiques entre pays, soit les renforce. Ici, les relations franco-marocaines qui pâtissent depuis quelque temps d’une dégradation notable, malgré un semblant de cordialité subsistant (comme peut le démontrer l’entretien téléphonique du 9 septembre 2023 entre le président français et le roi marocain), sont mises à mal. Plusieurs analystes et historiens ont réagi face au refus marocain d’obtenir de l’aide de la part du gouvernement français. Pour Kader Abderrahim, français directeur de recherches à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe, cet événement montre qu’une nouvelle géopolitique est en train d’émerger. Plusieurs facteurs ont selon lui conduit à un climat de tension entre les deux puissances. Que cela soit le scandale du logiciel espion Pegasus, ou bien la question de la diminution du nombre de visas français accordés aux citoyens marocains, plusieurs événements sont venus troubler le partenariat et les relations historiques entre les deux pays. La question de la reconnaissance du Sahara occidental comme appartenant au Maroc et non pas à l’Algérie est aussi un important sujet de crispation entre la France et le Maroc. La France se veut pourtant rassurante quant au lien existant entre les deux pays. Le site de France Diplomatie insiste par exemple sur le fait que les relations bilatérales sont «traditionnellement excellentes » et « marquées par un dialogue dense et régulier depuis le milieu des années 1990 ». Il n’en demeure pas moins que le choix très restrictif du Maroc dans ses partenaires pour l’aide humanitaire révèle une ambition : celle de ne pas nécessairement se tourner vers ses partenaires historiques, et de privilégier ceux qui entrent dans son giron. Et c’est bien là que l’on se rend compte d’un délitement dans les relations franco-marocaines, ici mis en avant par la gestion de la crise humanitaire par le Maroc après le séisme qui l’a touché.
Une catastrophe naturelle qui achève d’écarter l’acteur gouvernemental français au profit de nouvelles alliances ?
L’échiquier politique semble donc voir ses pions re-distribués autour du Maroc. Le séisme semble avoir mis en exergue les orientations de la politique étrangère marocaine, ses ambitions à plus long terme. À travers ses récentes décisions, «le Maroc veut montrer qu'il est souverain, capable de piloter les secours, et de ne pas se comporter comme un pauvre pays meurtri que tout le monde vient charitablement secourir » (Brunel, 2023). On l’observe à travers les pays desquels il a accepté l’aide humanitaire. Kader Abderrahim, interviewé à l’occasion d’une émission de France Culture, expliquait de cette façon le choix du gouvernement marocain : « la Grande-Bretagne, car c'est probablement le pays avec lequel le Maroc a le plus ancien traité diplomatique. Ensuite, l'Espagne qui s'est alignée sur la position marocaine au sujet du Sahara occidental. Il y a également le Qatar et les Émirats arabes unis, qui pourront sans doute apporter des financements ». Dans la gestion de cette crise humanitaire, on observe donc que le côté politique prend le pas sur le côté humain. Les alliances sont soigneusement choisies par le roi Mohamed VI pour coller avec ses visées internationales. Pour Aziz Chahir, docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc : « Le Maroc veut ménager ses alliés dans la région, d'autant que ses relations avec les riches Émiratis se sont considérablement réchauffées ces dernières années. Les intérêts agricoles et dans les énergies renouvelables des Émirats sont de plus en plus forts dans le sud du Maroc ». Ainsi, véritablement, on observe dans la gestion politique de cette catastrophe naturelle par le Maroc le renforcement de nouvelles alliances d’une part et d’autre part une certaine rupture d’alliances anciennes. C’est bien ce qu’illustre la décision de Mohamed VI de refuser l’aide humanitaire française, écartant alors l’acteur gouvernemental français de son partenaire de longue date. Le séisme a sûrement catalysé et mis en exergue un nouvel échiquier géopolitique autour du Maroc.
Bibliographie :
Ouvrages
LE COCONNIER, Marie-Laure (2012) : L’action humanitaire : Presses universitaires de France, p.3
Articles scientifiques
De Lauri, A. (2020). La diplomatie humanitaire. CMI - Chr. Michelsen Institute. https://www.cmi.no/publications/7238-la-diplomatie-humanitaire
(2021). Retour géopolitique sur la situation postcoloniale et l’histoire coloniale de l’Algérie et du Maroc. Hérodote, 180, 180-202. https://doi-org.ezproxy.univ-catholille.fr/10.3917/her.180.0180
Travail scientifique étudiant
Mondésir, L. Beckmann,M. ( 2016). Géopolitique de l’humanitaire français, « Géopolitique de la générosité ». Université Paris I Panthéon Sorbonne, M.R.I.A.E, ss la direction de Pierre Verluise. https://www.diploweb.com/IMG/pdf/v2_exposes_mriae.pdf#page=51
Articles de presse
König, B. (2023, 11 septembre). Pour le roi du Maroc, l’aide humanitaire passera après la politique.L’Humanité.https://www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/pour-le-roi-du-maroc-laide-humanitaire-passera-apres-la-politique
Hutton, M. (2023, 15 septembre). Séisme au Maroc : pourquoi Rabat n’accepte pas toute l’aide étrangère ? TV5MONDE - Informations. https://information.tv5monde.com/afrique/seisme-au-maroc-pourquoi-rabat-naccepte-pas-toute-laide-etrangere-2667387
Semo, M. (2023, 11 septembre). La « diplomatie des séismes » va-t-elle réconcilier le Maroc avec la France ? Challenges. https://www.challenges.fr/monde/la-diplomatie-des-seismes-va-t-elle-reconcilier-le-maroc-avec-la-france_866974
Au Maroc, la « diplomatie des séismes » s’active. (2023, 11 septembre). France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-lundi-11-septembre-2023-5898966
Chaudier, J. (2023, 13 septembre). Séisme au Maroc : comment le royaume choisit quels pays lui apportent de l’aide | Slate.fr. Slate.fr. https://www.slate.fr/story/253008/seisme-maroc-comment-choisi-aide-internationale-secours-pays-etats-golfe-strategie-geopolitique
Pages internet
Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. (s. d.). Relations bilatérales. France Diplomatie - Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/maroc/relations-bilaterales/
Hajj, P. (2023, 14 septembre). Séisme au Maroc - UNICEF. UNICEF. https://www.unicef.fr/article/urgence-seisme-au-maroc-nos-equipes-mobilisees/
Podcasts
Diplomatie, pouvoir du roi : ce que le séisme révèle du régime marocain. (2023, 12 septembre).FranceCulture.https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/diplomatie-pouvoir-du-roi-ce-que-le-seisme-revele-du-regime-marocain-9378540
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